Jack White : Blunderbuss (Third Man Records)

Publié le par Patrick Foulhoux

Jack-White-Blunderbuss.jpgPuisque tout repose implicitement sur lui et qu’il laisse des traces de doigts partout où il met les mains, de White Stripes à Dead Weather en passant par les Raconteurs, il était légitime que Jack White finisse par sortir à découvert pour se livrer à cœur ouvert (notez la rime riche sur vos calepins je vous prie).

Le vinyle et la pochette qui l’enveloppe sont, comme d’habitude avec le label Third Man Records conduit par Jack White, d’une qualité remarquable malgré un visuel pas très heureux.

Blunderbuss s’inscrit génétiquement dans le prolongement de White Stripes, il emprunte le même sillon. Le vautour juché sur l’épaule de Jack White, j’allais dire le révérend Jack White tellement il commence à prendre des allures de prédicateur, le vautour disais-je qu’on retrouve en gros plan sur le livret avec une pièce de monnaie coincée dans le bec, si disgracieux soit-il, n’est pas arrivé là par inadvertance, ni par Colissimo je rassure les usagers attachés aux Services Publics. White affiche un look sobrement gothique. Va-t-on vers un album sombre et torturé du genre “je me cherche et je ne me trouve pas” ? On pourrait se le demander d’autant que les thèmes abordés reposent sur les relations compliquées de White avec les femmes pouvant virer aux rituels sado-masos. Il entretient sa part de mystique avec des formules choc qui posent la question de savoir s’il verse dans la métaphore ou s’il est pris d’hallucinations psychédéliques identiques aux frasques des seventies et à une littérature cyberpunk. Ses textes projettent des flashs de Tetsuo  et Tomorrow’s Parties de William Gibson. C’est grave docteur ? 

White n’est pas un loup solitaire prêt à tous les sacrifices, il ne peut vivre sans l’autre. Il se voit dans le regard de l’autre, blessé et fragile. Il s’y reconstruit et dans ce jeu de miroirs cruels, il est plutôt victime que bourreau, tente-il de nous faire croire.

Comment mettre en musique sa prose ? Il démarre en loucedé avant de s’envoler pour “Sixteen Saltines” à la recette garage éprouvée pour préparer le terrain de “Freedom at 21” qui va alimenter les conversations avec son riff plagiant en partie celui, désormais célèbre, de “Seven Nation Army” qui appartient au patrimoine mondial de l’Humanité au même titre que celui de “Smoke On The Water” de Deep Purple ou la suite d’accords de “Smells Like Teen Spirit” de Nirvana. “Freedom at 21” rassure le chaland quant aux intentions de notre hôte. Mais elle peut aussi inquiéter les moins téméraires avec son phrasé rap qui lui donne une inflexion à la Beck. Une nouvelle voie d’exploration ? Pas sûr qu’en poursuivant sur une “Love Interruption” aux intonations entre Bob Dylan et Rolling Stones, se dessine un nouveau profil pour White. Impression stonienne renforcée avec la posée “Blunderbuss”. La teinte s’imprègne doucement. “Hypocritical Kiss” au piano lyrique enfonce le clou. Une des chansons les mieux réussies de ce disque avec cette ambivalence blues et rock orageux contenu dans une guitare à peine retenue. Blunderbuss est stratégiquement bien agencé. La face A se clôt sur l’ambitieuse “Weem Themselves To Sleep”, portée par un piano-bélier, un titre aux consonances 70’s appuyées. La seconde face ouvre sur une antiquité pour mettre du swing là-dedans, la bien nommée “I’m Shakin”. Le titre “Trash Tongue Talker” promet dès son énoncé. On espère enfin le décollage à la verticale parce que pour l’instant, ça se fait attendre. C’est pas mal, c’est honnête, mais c’est pas la branlée attendue. Va falloir que ça pète. Le morceau pour classique qu’il soit, est enlevé, généreux, énergique. “Hip (Eponymous) Poor Boy” la joue entre comptine enfantine et traditionnel. On s’achemine doucement vers la fin du disque et on attend toujours le coup de semonce. Poursuite de la Stonification des harmonies avec le sympatoche “I Guess I Should Go To Sleep” qui manque quand même d’un peu de culot et d’ambition combien même la chanson est bien bordée aux quatre angles. “On and On and On” débute au violon et la moitié des visiteurs du blog viennent de quitter la page…

On ferme le rideau avec la tonique “Take Me With You When You Go” portée par les voix des choristes. Un disque en retenue, frileux. Jack White tente de côtoyer les Tom Petty, Gregg Allman, Springsteen, Dylan ou Jagger. Il lui reste du chemin à parcourir. Peut-être devrait-il complètement s’affranchir de ses attaches trop visibles et n’en faire qu’à sa tête. Il sait que ce n’est pas un “grand” chanteur, au lieu de mettre sa voix en situation de faiblesse par moments, il devrait bâtir autour pour s’en servir de mur porteur. Blunderbuss laisse entrevoir une charge émotionnelle trop contenue. Avec autant d’expérience, comment Jack White n’a-t-il pas réussi le disque parfait ? Faut être fan pour se laisser attendrir. Ou alors, Blunderbuss prendra tout son sens sur la longueur avec d’autres disques pour justifier ses partis-pris et ses options.

 

AB+

Publié dans Musique

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